Au-delà des gros titres : ce que montrent les preuves sur les violences antichrétiennes au Nigeria

Capture décran dune vidéo montrant des militants armés au Nigéria. Le groupe extrémiste Boko Haram, ainsi que des affiliés de lÉtat islamique et des éleveurs armés peuls, sont responsables dattaques généralisées contre des communautés chrétiennes.
Capture d'écran d'une vidéo montrant des militants armés au Nigéria. Le groupe extrémiste Boko Haram, ainsi que des affiliés de l'État islamique et des éleveurs armés peuls, sont responsables d'attaques généralisées contre des communautés chrétiennes. Capture d'écran YouTube / Boko Haram : Terreur noire en Afrique

Lorsque le président américain Donald Trump a de nouveau désigné le Nigeria comme pays particulièrement préoccupant (Country of Particular Concern – CPC) à la fin du mois d’octobre 2025, peu s’attendaient au débat intense qui allait s’ensuivre. Trump a déclaré que les chrétiens y font face à une persécution systématique et a accusé le gouvernement nigérian de ne pas répondre adéquatement à cette crise.

Un profond désaccord est alors apparu sur la question de savoir si les forces militantes islamiques ciblent délibérément les chrétiens ou si les violences résultent plutôt de défaillances générales en matière de sécurité. Le débat s’est poursuivi même après que les États-Unis ont menacé de prendre des mesures contre le Nigeria.

Alors que la controverse s’est intensifiée au cours des trois derniers mois, des témoignages de Nigérians sur le terrain révèlent désormais des décennies d’incidents ayant progressivement dégénéré en violences flagrantes et en enlèvements qui ravagent certaines régions du pays, en particulier la Middle Belt (ceinture centrale) et le nord.

Un webinaire organisé par Open Doors International le 16 décembre a examiné les affirmations et contre-arguments concernant une persécution délibérée des chrétiens, à partir du point de vue de personnes en première ligne. Jabez Musa (pseudonyme), avocat spécialisé dans les droits humains et journaliste chevronné, a expliqué que le conflit au Nigeria, aujourd’hui qualifié de « persécution des chrétiens », a commencé en 1999, lorsque la charia (loi islamique) a été instaurée dans la majorité des États du nord.

« Cette loi de la charia entre en conflit avec la Constitution nigériane, qui interdit toute religion d’État. Aujourd’hui, 12 États du nord fonctionnent sous la charia », a souligné Musa.

Open Doors a documenté de nombreuses attaques visant des chrétiens dans plusieurs pays, dont le Nigeria. Les recherches de l’organisation sur ces attaques ont contribué à attirer l’attention du gouvernement américain sur la situation dans le pays.

L’émergence de Boko Haram en 2009, un groupe islamiste armé, a marqué un tournant pour le Nigeria — une violence qui allait, plus tard, toucher personnellement Musa. Depuis lors, de nombreux groupes extrémistes violents ont fait surface, notamment les milices peules, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), Lakawara et Mahmuda.

« Boko Haram a amplifié l’idéologie de la charia et de l’islam. Les tactiques brutales du groupe — attentats, enlèvements, kidnappings, viols, mariages forcés et meurtres — ont touché de manière disproportionnée les chrétiens et d’autres groupes vulnérables », a insisté Musa.

Il a expliqué que Boko Haram rejette tout ce qui est occidental, en particulier l’éducation. Le groupe considère le christianisme comme une culture occidentale devant être éliminée. Le nord-est du Nigeria constitue son épicentre, où, selon des estimations prudentes, plus de 50 000 chrétiens ont été tués depuis l’apparition du groupe, tandis que beaucoup d’autres ont été déplacés ou contraints de fuir la région.

« Le Nigeria fait la une de l’actualité depuis plus de 20 ans », a observé Steven Kefas, fondateur du Middle Belt Times et analyste principal au sein de l’Observatory for Religious Freedom in Africa (ORFA), basé aux Pays-Bas, une organisation qui surveille les violations de la liberté religieuse en Afrique. « Plus récemment, à la fin du mois d’octobre, la conversation a pris de l’ampleur avec la reclassification du pays comme pays particulièrement préoccupant. »

Il est intervenu lors du webinaire après avoir mené des enquêtes journalistiques ayant déclenché d’importantes réformes au Nigeria. Son expérience sur le terrain l’a convaincu que ce qui se déroule dans certaines régions du pays constitue une persécution ciblée des chrétiens.

« En tant que personne ayant travaillé sur le terrain pendant au moins 15 ans et couvert la plupart de ces atrocités, je peux affirmer en toute responsabilité que les chrétiens font face à une persécution au Nigeria », a-t-il déclaré. « Par exemple, dans la Middle Belt, où j’ai vécu toute ma vie, d’autres religions existent. Mais lorsque l’on analyse le schéma de la violence dans cette région, une seule foi est ciblée : la foi chrétienne. »

Dans un rapport publié en juillet par l’ORFA, Kefas a mis en lumière un paradoxe concernant la visibilité de ces groupes armés dangereux.

« En 2015, lorsque l’Indice mondial du terrorisme (GTI) a classé les milices peules armées comme le quatrième groupe terroriste le plus meurtrier au monde, le Nigeria faisait déjà face à de multiples menaces sécuritaires brutales », a-t-il écrit. « Pourtant, près d’une décennie plus tard, ces mêmes milices sont devenues exponentiellement plus meurtrières. Elles ont mystérieusement disparu des classements internationaux du terrorisme, alors même que de nombreux experts en sécurité les considèrent aujourd’hui comme le groupe armé non étatique le plus meurtrier du Nigeria. »

Violence contre les chrétiens ou contre les communautés ?

Au cœur du débat, certains responsables du gouvernement nigérian nient que les attaques ciblent une foi en particulier. Ils affirment que toutes les religions souffrent de ce qu’ils décrivent comme des attaques terroristes.

En novembre, le ministre de l’Information et de l’Orientation nationale, Alhaji Mohammed Idris, a rejeté toute dimension religieuse aux attaques. Le journal nigérian Vanguard a cité le ministre affirmant que les attaques liées au terrorisme contre les Nigérians, indépendamment de leur foi ou de leur affiliation politique, ont fortement diminué durant les deux années de mandat du président Bola Tinubu.

Steven Kefas n’est pas d’accord. Bien que des preuves montrent que des musulmans sont également victimes, il a démontré, dans les recherches de l’ORFA, que les chrétiens souffrent de manière disproportionnée, même dans les zones à majorité musulmane.

« Dans notre rapport couvrant quatre années, nous avons découvert que plus de chrétiens sont morts dans certaines collectivités locales que de musulmans. Cela s’est produit au cœur du nord musulman, où la charia est en vigueur », a-t-il expliqué. « Ce que nous avons constaté montre que, même là où les musulmans sont majoritaires, le nombre de chrétiens tués prouve qu’il ne s’agit pas d’une violence aléatoire. »

Il a ajouté que, dans les 12 États du nord soumis à la charia, les données montrent que les chrétiens sont particulièrement ciblés lorsqu’on tient compte des ratios de population entre chrétiens et musulmans.

Selon le rapport 2024 d’Open Doors intitulé No Road Home, s’appuyant sur des données de l’ORFA, les chrétiens étaient trois fois plus susceptibles d’être attaqués que les musulmans. Entre 2019 et 2023, on a recensé 16 769 morts chrétiens contre 6 235 morts musulmans.

Un conflit qui ne concerne ni la terre ni le climat

Les intervenants du webinaire ont également remis en question l’idée selon laquelle certaines attaques seraient dues à des conflits entre éleveurs et agriculteurs, souvent attribués à la rareté des ressources liée au changement climatique.

L’honorable Terwase Orbunde a vigoureusement rejeté cette thèse, affirmant que la question foncière figure parmi les causes les moins pertinentes des attaques. Il a été président du gouvernement local de Kwande dans l’État de Benue, membre de la Chambre des représentants à Abuja, conseiller du président du Sénat pendant six ans et demi, et chef de cabinet de l’ancien gouverneur de l’État de Benue — un poste qui faisait de lui un membre statutaire du Conseil de sécurité de l’État.

« En 2018, une attaque a eu lieu et 73 personnes ont été assassinées. Les tueurs ont frappé des gens dans leurs maisons, la nuit. Comment peut-on revendiquer des terres en tuant des personnes dans leur sommeil ? Un vieil homme de 80 ans, un enfant de cinq ans », a déclaré Orbunde.

Il parle aussi d’une expérience personnelle. Le 12 avril 2024, des assaillants lui ont tiré dans le bras, tandis que des miliciens peuls ont enlevé son épouse et son assistante dans leur ferme, juste à l’extérieur de Makurdi, dans l’État de Benue. Il affirme catégoriquement que cela n’a rien à voir avec les ressources naturelles.

Kefas a apporté un éclairage complémentaire, notant que les médias présentent souvent ces attaques comme des affrontements entre éleveurs et agriculteurs.

« Cela n’a rien à voir avec le changement climatique. Le changement climatique affecte tout le monde dans le monde, pas seulement le Nigeria », a-t-il déclaré. « Depuis 2014, j’ai interviewé des personnes issues de plus de 70 communautés. Sur les 70 villages attaqués au cours des dix dernières années, 55 % ont déclaré n’avoir jamais eu de problèmes avec les éleveurs. Ils vivaient paisiblement à côté de nos communautés depuis 20, 30, 40, voire 50 ans. »

Selon ses recherches, les 35 % restants des agriculteurs ayant rencontré des problèmes avec les éleveurs se plaignaient uniquement de cultures endommagées — pourtant, ce sont eux qui ont été attaqués.

La plupart des intervenants estiment que la reclassification du Nigeria comme pays particulièrement préoccupant aidera d’autres nations à mieux comprendre la dynamique des violences en cours.

« En tant que chrétiens, nous saluons le fait qu’une intervention ait commencé, en particulier de la part des États-Unis », a déclaré Musa. « Nous exhortons les autres nations occidentales, notamment en Europe, à se joindre aux États-Unis ou à élaborer leurs propres mesures à l’encontre du Nigeria afin de mettre fin à la persécution. »

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